La Catalogne est passée d’une aridité persistante à des crues dévastatrices. Tout semble opposer ces épisodes météorologiques opposés, pourtant, du fait du changement climatique, ces deux extrêmes sont désormais les faces d’une même monnaie.
Sous restriction. L’an dernier, à la même époque, en plein milieu de trois années de sécheresse, le gouvernement catalan préparait une batterie de mesures d’économie d’eau. Baisse de la pression au robinet, limitation de la consommation pour les hôtels, etc… Ce lundi, après la catastrophe humanitaire de Valencia, la Catalogne était terrorisée de se trouver sur la route de la tempête. Si à Valence, 150 personnes ont perdu la vie, heureusement, sur le territoire catalan, les dégâts ne sont que matériels.
Passer de la pénurie d’eau aux torrents destructeurs peut paraître contre-intuitif, mais les inondations récentes et la sécheresse persistante relèvent de la même mécanique à l’échelle planétaire. Pour comprendre ce qui se joue, il faut revenir au cycle de l’eau et partir du point de départ, à savoir les précipitations.
Car le changement climatique a des effets contrastés, c’est d’ailleurs très bien documenté par de nombreuses études scientifiques et récemment par le GIEC dans son rapport de 2022. À l’échelle planétaire, les températures de l’air augmentent. Mais celle de l’océan aussi et les niveaux de précipitations deviennent plus importants. Pour chaque degré Celsius en plus, on observera 7 % d’évaporation supplémentaires, ce qui se traduit par une augmentation des précipitations au niveau mondial.
Globalement, ce qui se passe en Catalogne entre sécheresse et déluge, est en phase avec ce à quoi on s’attendait au niveau de réchauffement actuel. Mais le changement climatique fait mal les choses : il y a à la fois une augmentation des précipitations là où il y en a déjà suffisamment – voire déjà en excès – et une baisse là où il y en avait déjà peu ou trop peu. Ce sont des mécanismes de circulation atmosphériques de l’air chaud chargé d’humidité qui sont en cause.
Le pourtour méditerranéen : région vulnérable
Parmi les régions les plus vulnérables à la sécheresse, on retrouve le pourtour méditerranéen. Ce n’est pas la seule : l’ouest de l’Amérique du Nord, le sud de l’Australie ou encore l’est de l’Asie le sont également.
En regard des projections du GIEC, les sécheresses récurrentes en Catalogne sont appelées à se répéter. Dans le même temps, les épisodes méditerranéens exposent les habitants à des épisodes de pluie extrêmes. Les deux phénomènes, la sécheresse en lame de fond, et des épisodes de pluie intenses, peuvent s’alterner.
Les projections ne montrent pas de changement significatif dans le niveau de précipitation annuel dans les régions plus au nord, au dessus de la Loire en France par exemple. Ce qui est intéressant, c’est que les projections dans cette région – notamment celles réalisées par le projet Explore — indiquent des débits d’étiage qui vont diminuer jusqu’à 50 % en août et septembre sur la majeure partie des fleuves et des rivières, ceci à cause d’une augmentation de l’évaporation liée au réchauffement. Cela montre bien que le niveau de précipitation annuel n’est pas un indicateur pertinent pour raisonner à l’échelle du territoire.
Les impacts de la sécheresse pour l’agriculture ?
Une fois que la pluie est tombée et que les réservoirs naturels que sont les nappes phréatiques, les lacs ou les rivières ont été rechargés, il faut voir ce qu’on fait de l’eau. Mais même si les précipitations sont le point de départ, il ne faut pas se méprendre sur la quantité d’eau à disposition. Les pluies torrentielles des dernières semaines, vu la saison où elles interviennent, sont utilisées en priorité par la végétation de surface, avant de pouvoir recharger les nappes. Dans le bilan hydrique global, on élude trop souvent l’enjeu de l’évaporation de l’eau, soit par les sols, soit par l’évapotranspiration des végétaux.
L’eau est indispensable pour l’agriculture, l’alimentation humaine, celle des animaux, pour la biodiversité également, et notamment pour ces écosystèmes que l’on appelle zones humides, qui peuvent d’ailleurs agir comme des « zones tampons » naturelles pour absorber l’excédent d’eau lors des épisodes pluvieux extrêmes. On parle beaucoup de sécheresse, mais il faut aussi considérer que l’excédent momentané de précipitations doit aller quelque part, dans un contexte qui est celui d’une élévation du niveau de la mer. C’est tout le cycle de l’eau qui est affecté.
Il y a de nombreux axes socio-économiques à prendre en compte lors des sécheresses. L’un d’entre eux est le rendement des cultures. Le rendement du blé tendre a ainsi augmenté régulièrement entre 1955 et 1995, selon les travaux de chercheurs de l’INRA (depuis devenue INRAE). Mais désormais, il stagne, ce que les spécialistes attribuent au changement climatique, ce qui pousse à sélectionner de nouvelles variétés. L’excès d’eau a aussi des effets négatifs au plan économique, et peut nuire, là aussi, aux rendements des cultures des céréales.
Sécheresse et risques de feux de forêt ?
Il n’y a pas que les zones humides ou les cultures humaines qui pâtissent du manque d’eau, les forêts aussi. La sécheresse contribue d’ailleurs à réduire l’effet « puits de carbone » (capacité à stocker le CO2 présent dans l’atmosphère sous forme de végétation) des forêts, et cela alors qu’on tablait au contraire sur une augmentation de cet effet à travers la reforestation et l’afforestation. Ce sont en réalité trois dangers qui menacent les forêts. Avec la sécheresse elle-même, les arbres poussent moins bien. Les ravageurs (maladies, insectes…) voient leur aire de répartition s’élargir sous l’effet du changement climatique.La combinaison entre sécheresses, canicules et orages (vents violents) est propice aux feux de forêt.
Pour le monde forestier, l’enjeu d’adaptation est important. Cela peut passer par le recours à différentes essences d’arbres mieux adaptées au climat, par exemple.
Les différents usages socio-économiques de l’eau en compétition.
De nombreux fleuves et rivières, sont utilisés à des fins d’irrigation dans le secteur agricole. Les lacs et rivières sont aussi le lieu d’usage de loisirs, comme la pêche. Et dans le même temps, la ressource en eau est importante aussi dans le domaine de l’énergie, puisqu’elle permet le refroidissement de certaines centrales nucléaires, par exemple, et assure le bon fonctionnement des barrages hydro-électriques. Dans le passé, des épisodes de sécheresse ont pu contraindre à baisser la puissance des centrales, le débit de la rivière n’étant plus suffisant et la température des eaux trop élevées pour assurer leur refroidissement. Les sécheresses peuvent ainsi nous faire toucher à certaines limites industrielles.
Le transport fluvial de marchandises constitue un autre aspect économique notable de l’eau. En août 2022, la sécheresse frappant le Rhin avait contraint les entreprises de transport allemandes à ne charger les barges qu’au quart de leur capacité habituelle.